Depositphotos_13834677_s

Une émission diffusée sur Arte le 24 février 2015, était consacrée « au bonheur au travail ».  Un titre surprenant. Nous sommes en effet plus habitués à entendre les médias parler de la « souffrance » au travail. Il est devenu banal de rappeler que l’origine latine de « travailler » est le verbe « tripaliare » qui signifie « torturer ». La mémoire collective est donc fortement impressionnée par des images négatives, et rares sont les approches positives sur le monde de l’entreprise et sur la vie au travail. Du moins particulièrement en France.  Alors sauf à être masochiste, la notion de bonheur associée au travail n’est pas une évidence. Et pourtant ! Cette émission donne l’exemple de quatre entreprises dans lesquelles il fait bon travailler. Là encore, c’est une histoire de façon d’être de dirigeant. Témoignage.

Après avoir goûté aux leçons de consultants qui ont pignon sur rue,

Après  avoir dépensé autant d’énergie que d’euros à lutter contre les batteries de « power point » sans sens de la plupart des cabinets de consultants, après avoir digéré les démarches qualité en rejetant toutes les lourdeurs de paperasserie qu’elles risquent d’engendrer si elles sont déconnectées de la vie réelle de l’activité, après avoir modelé le lean management pour en faire une approche collective de recherche d’efficacité principalement aux interfaces entre plusieurs métiers….. et avoir appliqué une approche BBZ pour travailler sur les coûts unitaires de chaque acte élémentaire, j’ai eu la conviction que je ne pourrai pas redonner du souffle à nos équipes et transformer l’entreprise par ces méthodes. Que nous étions arrivés au bout de ce que peuvent apporter des démarches descendantes, basées uniquement sur la recherche de productivité. J’ai donc engagé une autre approche, basée sur l’humain, le professionnalisme et la reconnaissance de la personne. C’était à contre courant des pratiques et de la culture du Groupe. Les dirigeants de mon équipe doutaient de cette façon de manager. Je peux même dire que beaucoup attendaient « pour voir ». J’étais convaincue que les meilleures idées et les vraies marges de progrès ne pouvaient venir que des équipes métier et de leur professionnalisme. Pour cela encore faut-il leur donner la parole, les écouter et leur faire confiance.

Nous avions semé des graines

La démarche engagée pour relever le niveau de sécurité des ouvrages de distribution gaz naturel et des travaux engagés à leur proximité a été essentielle pour reprendre conscience de la place de l’humain.  Nous avons analysé les incidents/accidents survenus depuis plusieurs années, à chaque fois de plus en plus graves. La cause de ces événements est à 99%, d’origine humaine. Nous avons mis en place la pratique du retour d’expérience de chaque presqu’incident, en interne et avec les parties prenantes concernées. Nous avons rencontré des entreprises qui gèrent un risque industriel : exploitation de centrales nucléaires, aviation etc ..pour bénéficier de leur expérience et conforter notre démarche. Exemplarité, écoute, prise en compte des dysfonctionnements dans les processus, identification des contradictions entre la réglementation, les lois et les budgets. Transparence. Il s’agissait d’arrêter de pousser sous le tapis, les écarts et les problèmes et de retrouver la confiance en interne et avec les parties prenantes externes. Savoir se remettre en question, et donner des gages de notre volonté de cohérence entre les engagements de sécurité et les choix budgétaires ….. autant de ruptures avec les pratiques antérieures.

Au moment de la création de GrDF, nous avions aussi travaillé sur les valeurs qui seraient des signes de reconnaissance entre les salariés et qui qualifieraient ce que nous voulons que notre entreprise partage avec son environnement. Ce travail collectif a abouti à quatre valeurs, quatre mots qui forment le « PEPS » : proximité, esprit d’entreprendre, plaisir, sécurité. Ces mots et notamment le mot « plaisir » ont fait réagir au début. Il était vraiment à contre culture. Le travail ne pouvait être que devoir, souffrance et obligation ! Lorsqu’en 2012, nous avons remis en débat nos valeurs pour vérifier qu’elles nous correspondaient bien, elles ont été plébiscitées et particulièrement le « plaisir », le plaisir d’être dans cette entreprise, le plaisir du travail bien fait.

Aller voir ce qui se passe ailleurs

Pour accélérer cette prise de conscience qu’il est possible de fonctionner différemment malgré nos lourdeurs culturelles, j’ai pensé que le mieux était de demander à des salariés de l’Entreprise, de tous niveaux, de tous métiers d’aller voir ailleurs des fonctionnements différents. Il s’agissait pour eux de plonger dans des univers très différents du nôtre. C’est ainsi que trois voyages en Californie (« learning expédition ») ont été organisés.

Les participants avaient la mission de revenir avec des témoignages et des idées concrètes recueillies dans plusieurs entreprises dans des secteurs différents, à mettre en oeuvre pour faire bouger les lignes. Nous avions au préalable fait un travail collectif pour identifier tout ce que nous ressentions comme étant des freins pour nous adapter à l’accélération de  votre environnement.

En très résumé, il en ressortait que notre organisation managériale modèle militaire était concentrée sur la recherche de productivité aveugle depuis des dizaines de générations de dirigeants. Cette approche basée sur l’injonction du – x% par an était à bout de souffle. Inadaptée à nos enjeux. La vitesse d’adaptation de l’entreprise était ressentie comme trop lente par rapport à l’accélération du monde et des comportements des clients.

Nos collègues sont revenus avec des étoiles dans les yeux et des idées plein la tête.  Ils nous ont raconté ce qu’ils avaient retenu et ce qu’ils pensaient intéressant de mettre en oeuvre prioritairement. Nous l’avons partagé tous ensemble dans des forums larges mélangeant tous les niveaux de responsabilité, réunions physiques et réseaux sociaux. Nous avons avec eux décidé de changer, pour aller vers un fonctionnement basé sur la coopération et la transversalité. Une première étape a consisté par exemple à raccourcir les distances et à réduire le nombre de niveaux de management, à simplifier les pratiques.

Un sourire, un compliment, une présence sur le terrain créent plus d’énergie, de confiance et d’exigence que toutes les injonctions

J’ai mesuré l’effet positif du sourire, du compliment ou de la satisfaction exprimée.  J’ai mesuré l’importance de prendre le temps de partager et de construire ensemble. Nous avons aussi dans cet esprit, fait évoluer notre relation avec les représentants du personnel dans la démarche « le dialogue social autrement ». Nous avons mis en place une élaboration collaborative du projet de l’Entreprise. Ce projet « avec vous, en réseau » a retenu des actions concrètes avec des objectifs chiffrés beaucoup plus ambitieux que tout ce que nous aurions pu espérer par une approche descendante, en terme de chiffre d’affaires, de satisfaction des clients et des collectivisé locales, de sécurité etc..

Je n’irai pas jusqu’à affirmer que tous les salariés de GrDF sont heureux dans leur travail. Les baromètres internes montrent des sujets d’insatisfaction. Ce changement d’approche se fait dans la durée. C’est une démarche fragile qui peut facilement être stoppée net au premier faux pas, à la première contradiction ressentie dans le comportement d’un responsable.

La cohérence entre les paroles et les actes, l’exemplarité sont les conditions sine qua non de cette transformation pour aller d’une entreprise verticale, à une entreprise en réseau. C’est aussi ce qui permet à chacun de se sentir appartenir à un ensemble composé de femmes et d’hommes reliés les uns aux autres par le même objectif : la transformation de l’entreprise dans la durée.